Pour éclairer cette question, nous avons interrogé 165 managers (DG, DSI, Directeurs Innovation, Directions métiers) de 140 entreprises. Au-delà de l’inventaire des usages, nous avons souhaité comprendre comment les projets émergent, les contraintes et difficultés qu’ils rencontrent ainsi que le poids du développement des compétences nécessaires.
A l’origine de ces projets, plusieurs questions :
- Qui des DSI, des directions métier, des fournisseurs de technologies … sont les premiers à proposer d’appliquer telle technologie à tel usage ?
- Quelle est la logique qui prévaut : Market Pull ou Techno-Push ?
Market Pull/Techno-Push : l’origine de l’innovation
Dans le premier cas (Market Pull) le cas d’usage préexiste : la problématique « métier » a été préalablement cernée et on source une technologie nouvelle en réponse à un besoin défini. Dans le second cas (Techno-Push), la technologie incarne une promesse de valeur qui révèle les cas d’usage. Concrètement, nous allons « à la chasse » de ses applications possibles !
Si l’on exclut les « projets d’infrastructures » que les DSI mettent en œuvre en réponse aux enjeux de performance des systèmes (productivité, fiabilité́, intégrité, sécurité…), la réponse est sans ambiguïté. Le Market Pull prédomine ; 2/3 des projets émergent au sein des métiers en partant des cas d’usages : on commence par identifier, approfondir et formaliser le besoin avant d’aller chercher une solution technologique.
Si quelques technologies bien identifiées relèvent d’un Techno-Push impulsé par la DSI/Direction Digitale (BOT, Blockchain, RPA et Low Code), de nombreux projets sont strictement Market Pull. Il s’agit notamment des projets à base d’algorithmes d’IA en machine learning, de briques technologiques commercialisées sous forme de service comme la NMT (Neuronal Machine Translation), computer vision, RA/RV. Dans ces projets, la recherche et la formalisation du cas d’usage sont portées soit directement par une direction métier, soit par une structure d’innovation en animation qui « prend le pari » de la pertinence de la problématique.
Cette prépondérance du « Market Pull » nous a surpris ; elle interroge à plusieurs titres.
Pour commencer, remarquons que « Market Pull » est corollaire de « problème cherche solution ». Il positionne de facto la DSI, le « technologue de l’entreprise », en pure posture de service. Difficile dans ces conditions d’être force de proposition, de challenger ou d’installer des relations de business partner avec les métiers. D’ailleurs, c’est sans compter les directions métiers qui cherchent elles-mêmes la réponse technologique seules ou sous l’influence directe des fournisseurs, contribuant au développement d’un « Shadow IT » dont la DSI finira toujours – souvent bien tardivement – par hériter.
Se saisir du Techno-Push : un enjeu crucial pour la DSI
Abandonner le « Techno-Push » aux fournisseurs de technologies, c’est dramatique ! En effet, c’est priver l’entreprise de belles opportunités de création de valeur. Pour exploiter avant ses concurrents plus de cas d’usages inédits et gagnants, il est indispensable d’explorer les possibles en amont en partant de l’idée technologique pour révéler des usages et lancer des POC. Être une vigie, défricher l’offre technologique, ses tendances, sa maturité, c’est aussi – et plus que jamais – le rôle de la DSI. Elle doit affirmer son rôle d’éclaireur pour faire émerger, engager et conduire des projets créateurs de valeur dans les meilleures conditions.
Cela suppose de « déployer ses antennes », développer ses connexions avec les écosystèmes technologiques et sa connaissance de l’offre pour nourrir et développer ses expertises dans le cadre d’une veille. Il faut aussi acculturer les clients internes sur les nouvelles technologies et les accompagner dans leurs choix jusqu’au lancement effectif de projets. Y parvenir nécessite de leur proposer de véritables parcours de découverte et d’exploration des potentiels technologiques.
Pour commencer, les métiers doivent prendre conscience du potentiel de création de valeur d’une technologie. Il faut nourrir leur capacité à imaginer leurs propres cas d’usage dans le contexte de l’entreprise, pour les rendre par la suite capables de les expérimenter. Cette appropriation du potentiel de valeur d’une technologie par les métiers est nécessairement progressive : il faut d’abord faire connaître et susciter l’intérêt pour se mettre en capacité d’expliquer, d’approfondir et de répondre aux interrogations jusqu’à l’émergence d’une opportunité « robuste »
Pour cela, il est essentiel de déployer des efforts de pédagogie et de marketing internes intenses et ciblés. Ils doivent reposer sur une gamme nourrie et cohérente de services pour orchestrer cette appropriation progressive : newsletters, cycles de conférences, learning expeditions, parcours de sensibilisation ou de formation, études et benchmarks à la demande, veille technologique collaborative, communautés thématiques, hackathons …
Le rôle de la DSI ne s’arrête pas là ; elle doit accompagner et aider ses clients internes à être dans les meilleures conditions de réussite pour passer de l’opportunité au lancement éventuel d’un véritable projet. L’enjeu est maintenant d’évaluer en profondeur les modalités d’exécution d’un use case pour nourrir leurs décisions de lancement de projet. Les dispositifs de Lab, de POC factory, et la mise à disposition d’environnements adaptés de développement et d’exposition rapide permettront d’accompagner le client interne dans l’identification des incertitudes « métier » les plus importantes de son use-case. La DSI pourra alors organiser et conduire avec lui des expérimentations décisives qui lui permettront de s’engager avec sérénité dans le passage à l’échelle.
Vous le savez !
Si ce n’est déjà le cas, les technologies digitales « innovantes » finiront par entrer par une porte ou par une autre au sein de votre organisation, alors n’attendez pas pour vous saisir de cette thématique. Côté DSI, développez dès maintenant vos capacités de Techno-Push pour promouvoir l’usage de ces technologies et permettre aux métiers d’en tirer le maximum.
Côté métiers, sans cesser de rechercher des solutions aux problèmes que vous identifiez, n’oubliez pas d’impliquer au plus tôt la DSI pour identifier les potentiels de création de valeur des innovations technologiques : l’innovation n’est pas dans les technologies, mais dans leurs usages.