L’accélération des pratiques, des modèles managériaux, ou bien même des cycles économiques et sociétaux nous pousse à bousculer nos modèles mentaux, à rester agiles et à revisiter nos certitudes et nos convictions. Cela peut paraître a priori paradoxal, mais cette souplesse intellectuelle n’est-elle pas aussi porteuse d’une nouvelle forme de contrainte pour réfléchir plus loin, avec encore plus de discernement et d’audace ?
Prendre le temps, et s’accorder la prise de recul nécessaire afin que l’analyse d’une situation ne soit pas simplement descriptive, mais qu’elle permette bien au contraire de construire sur ses inexpériences passées et ses erreurs ; diagnostiquer et rebâtir ainsi une stratégie novatrice est une condition nécessaire pour exécuter et réorienter une feuille de route de l’Innovation.
La stratégie Innovation, à l’instar des projets qu’elle porte et accompagne, n’échappe pas à la règle de la fuite en avant, de la déception, des errements, des incertitudes… Elle pose l’impérieuse nécessité de prendre suffisamment de recul afin d’identifier en sérénité les axes de développement et de performance souhaités pour les organisations, les femmes et les hommes qui les composent.
Rappelons que les fondements même de l’Innovation reposent sur la capacité à se mobiliser collectivement pour s’aventurer sur un domaine inexploré, d’identifier de nouveaux terrains de jeux, d’oser prendre des risques dans un environnement incertain et de maintenir l’engagement des parties prenantes sur un projet enthousiasmant car porteur de sens.
Pourquoi partager avec vous ces lieux communs !? Après une grande décennie de bouillonnement de l’innovation qui s’est traduit par une avancée spectaculaire de la compréhension des enjeux que celle-ci porte et apporte à la dimension économique, environnementale et sociale, je fais le constat qu’il est aussi opportun de considérer les objectifs poursuivis comme éphémères. Et que pour rester opérant, il est essentiel de renouveler régulièrement la dynamique collective d’état des lieux pour rythmer la feuille de route en fonction des évènements inattendus survenus et des enseignements issus de l’analyse des succès et des échecs.
Considérons que pour ce faire, la Direction Innovation ne peut construire seule sa feuille de route et que cet « état des lieux » est un prérequis indispensable pour mettre en lucidité un COMEX, une communauté de Managers ou plus simplement un corps social mobilisé et engagé.
Pour autant le contexte a évolué, les entreprises sont bien plus matures qu’elles ne l’étaient il y a une dizaine d’années, comme je l’ai précédemment mentionné, la plupart ont apprises de leurs erreurs, parfois au détriment de tout bon sens, en coupant les budgets liés à l’innovation alors qu’au contraire aucune stratégie pertinente ne peut être déterminée sur l’immobilisme et ne pas innover revient à se replier sur soi, par choix ou par renoncement.
Pourtant, le consensus est établi sur les vertus de l’Innovation en tant que contributeur et moteur de la croissance et du développement. Toutefois, comme le disait J. Schumpeter « l’innovation est un phénomène multiforme et aux causalités multiples », ce qui implique de façonner une stratégie opérationnelle et une démarche d’innovation en tenant compte de la puissance du collectif car l’innovation est avant tout une affaire « d’entrepreneurs ». Être « entrepreneur » n’est pas un statut dans l’organisation mais un état d’esprit.
Ainsi l’innovation passe par le désir de changer, d’améliorer une situation existante, de se projeter dans un univers désiré et de le rendre actionnable, opérant, tangible malgré la complexité et les difficultés.
En ce sens, les démarches d’innovation de type « Intrapreneuriat » concourent aussi à créer les conditions favorables permettant l’évolution des modèles mentaux stimulants, la réussite des « stratégies » innovation dans les entreprises.
Vous l’avez compris, ma conviction est que le Manager responsable de l’Innovation doit régulièrement dresser, sans tabous ni complexes, un bilan de la maturité de son organisation confrontée à l’Innovation, un « état des lieux » des forces et faiblesses en présence.
Au-delà du périmètre classique d’investigation – organisation de l’innovation, pilotage et gouvernance, processus innovation, maturité et développement des compétences internes, stratégie partenariale, axes et thématiques à fort potentiel, etc. – autant de champs indispensables à explorer ; l’approche doit aussi intégrer une posture particulière de pensée iconoclaste et donc « divergente » de pensée et d’action.
La pensée divergente revient à faire un pas de côté, à travailler sur l’occultation des formats de pensée, volontaires ou non, dont le prisme de la certitude emprisonne la possibilité d’ouvrir le champs des possibles.
Les routines intellectuelles, les règles claniques du management, les biais cognitifs directs et indirects, les croyances sont autant de freins qui bâillonnent la pensée créatrice.
Il est donc indispensable que l’état des lieux soit majoritairement réalisé par des tiers externes à l’entreprise, pour qu’au-delà des questionnaires convenus, la capacité de mettre en doute les réponses soit préservée pour challenger, confirmer ou infirmer les certitudes en interne.
Rappelons également les bénéfices « premiers » d’un bon état des lieux, il permet de capitaliser sur ses forces et faiblesses en pleine lucidité, de réaligner les parties prenantes autour d’une ambition choisie et partagée, d’identifier le potentiel d’innovation en prenant en compte à la fois les caractéristiques humaines, culturelles, les champs de contraintes et les éléments organisationnels qui vont déterminer une approche réaliste et audacieuse.
Innover ou ne pas Innover…ce n’est pas une option !