Auriane et Nicolas donnent les clefs de l'utilisation de cette approche qui propose des mécanismes de motivation adaptés à chacun.
A l’heure du digital, le nombre d’entreprises qui se transforment pour adapter leur organisation et leurs méthodes de travail ne cesse de croître ; le rythme des changements s’accélère. Si changer est vital, les transformations sont souvent mal vécues par les collaborateurs et rencontrent de fortes résistances.
Parallèlement, la gamification, connait un réel essor dans les entreprises depuis quelques années en tant qu’outil facilitateur de l’engagement. On peut citer en exemple la compagnie aérienne Virgin Atlantic qui donne accès à divers clubs en fonction du nombre de points accumulés, clubs donnant eux-mêmes accès à divers avantages. Mais l’acte d’achat est-il comparable avec l’acceptation d’un changement, la montée en compétence, de nouvelles pratiques, de nouvelles responsabilités, d’un nouveau contexte…
Dans quelle mesure, la gamification apporte-t-elle des solutions pour développer l’engagement des employés dans les projets de transformation ?
La gamification, c’est quoi ?
Gamifier, c’est user des ressorts du jeu dans un contexte non ludique pour créer une dynamique. Par exemple, instaurer une compétition entre les acteurs, mettre en perspective des récompenses, réelles ou virtuelles comme des badges, multiplier les références à un univers d’aventure…
La gamification d’une expérience vise la modification des comportements des personnes qui la vivent. Sur le lieu de travail, les applications possibles sont nombreuses : donner du piment à un parcours de formation, révéler des éléments de personnalité lors du recrutement, booster la performance en mettant en scène une compétition, en concrétisant des progrès et en récompensant l’atteinte des objectifs : les primes de performance, l’organisation de sales war… tout ça c’est à la fois la vraie vie, et de la gamification !
Mais pour ne pas tout mélanger, tenons-nous en à l’acception suivante : gamifier consiste à proposer des règles du jeu facultatives, supplémentaires à celles du système qui, elles, sont intangibles. Si les règles du système s’imposent à tous (le modèle de rémunération par exemple), on est libre de rentrer ou pas dans l’expérience gamifiée : on peut ne pas jouer !
Engager collectivement pour transformer
Quand on transforme une entreprise, on bouleverse généralement le quotidien des collaborateurs. Les résistances au changement sont multiples, mais généralement liées à la crainte de l’inconnu : les collaborateurs savent ce qu’ils ont et n’ont aucune certitude quant à ce qui le remplacera ; ils ont besoin d’être rassurés.
Or toute transformation nécessite un engagement des collaborateurs : le niveau d’adhésion des collaborateurs dans la transformation est déterminant. Ainsi, les opposants à un projet peuvent le ralentir fortement voire le mener à l’échec s’ils sont nombreux et déterminés. A l’inverse, des convaincus pourront faciliter le changement en en adoptant les nouveaux usages et en en faisant une promotion sincère. Ils sauront remonter des difficultés de manière positive et suggérer des améliorations pour augmenter la valeur de la transformation et la légitimer.
L’évolution continue des postures, des comportements et l’engagement sont d’autant plus essentiels que les transformations d’organisation ne s’appréhendent plus comme un grand soir, avec un avant et un après : comme l’a dit Machiavel « un changement en prépare un autre ».
Gamifier pour engager
La psychologie et les sciences du comportement apportent des pistes pour approfondir les expériences propres à engager l’individu. En particulier, la théorie de l’autodétermination distingue fondamentalement deux types de motivations.
Celles qui émanent d’une pression externe : les motivations extrinsèques, provoquées par une circonstance extérieure à l’individu, comme une contrainte, une pression sociale, une récompense, l’obtention de l’approbation ou des félicitations d’un tiers ne sont efficaces que sur un terme court : on s’habitue à une récompense qui au fil du temps va perdre de sa valeur. La récompense conditionnée à la réalisation d’une action peut même avoir un effet négatif : promettre quelque chose pour l’accomplissement d’une action dévalorise l’action en question ; le collaborateur finit par se dire que « si la pilule n’était pas amère, on n’aurait pas besoin de la dorer » et perd le plaisir de la réaliser.
Carotte et bâton ne sont pas des solutions durables : de nombreux travaux concluent que ce type de mécanique ne permet d’évolution positive que pendant une courte période, sans engager réellement les personnes.
A l’inverse, les motivations intrinsèques relèvent de l’intérêt et du plaisir que l’individu trouve à l’action elle-même, sans attente de récompense. Elles permettent d’inscrire dans le long terme les actions qui y sont liées.
Certaines mécaniques de jeu suscitent une motivation intrinsèque : ce sont en particulier celles qui rendent visibles les progrès accomplis (objectifs, mesure d’avancement, accomplissement de niveaux successifs), qui récompensent les efforts (pas seulement le succès) et qui favorisent le lien social par la reconnaissance des pairs (challenges collectifs, feed-backs, encouragements entre joueurs).
Elles apportent un sentiment de maîtrise des tâches et d’appropriation du nouveau contexte, favorisent le développement des compétences et permettent à chacun de développer le sens qu’il met dans la réalisation des actions.
Les caractéristiques de jeu idéales pour accompagner la transformation
En proposant des supports pour développer les motivations intrinsèques, la gamification permet donc d’impliquer les collaborateurs dans une activité ou un projet. Ainsi, dans le cadre d’une transformation, elle permet de les rendre acteurs de celle-ci. Les collaborateurs accepteront d’autant mieux la transformation, qu’ils sont pleinement investis dans son élaboration et son déploiement et la gamification apportera des solutions pour dynamiser les montées en compétences et en responsabilité.
Poursuivant le parallèle entre le monde du jeu et celui de l’entreprise, il est intéressant d’approfondir ce qu’attendent les individus d’une expérience de jeu. La typologie de Bartle définit des personnalités type de joueurs de jeu vidéo (de gamers !) selon leurs actions préférées dans les jeux, en référence à une matrice où l’axe horizontal oppose l’intérêt pour le contact avec les autres joueurs vs l’exploration du monde et l’axe vertical oppose l’action personnelle unilatérale vs la collaboration.
4 types de caractères sont ainsi définis :
- Le Tueur est un compétiteur né, motivé par l’affrontement et la victoire contre les autres joueurs
- Le Collectionneur a pour but unique de terminer le jeu le plus vite possible, réussir toutes les quêtes, accumuler tous les trophées
- L’ Explorateur est intéressé par la découverte du monde, il visite toutes les régions, cherche les passages secrets
- Le Socialisateur est avant tout en recherche de contact : souvent impliqué dans les groupes, heureux de s’associer pour réussir de plus grandes choses, il n’envisage pas d’expérience de jeu en solitaire
Bien sûr, aucune de ces catégories n’est pure : chaque individu emprunte plus ou moins à chaque caractère. Néanmoins, le caractère « socialisateur » est le plus représenté : il est majoritairement présent chez près de 80% des joueurs.
L’expérience de Talisker tend à montrer que la communauté des gamers est assez représentative de celle des collaborateurs d’une organisation : c’est en favorisant les interactions avec les autres plutôt qu’avec le contenu et valorisant la recherche du sens plutôt que la maîtrise ou la performance que l’on engage la plus large proportion des collaborateurs.
Comment s’y mettre …
Chez Talisker, nous empruntons au jeu dans les projets complexes à fort impact transformant pour les rendre plus attractifs et engager les collaborateurs. Par exemple, pour créer les conditions d’une dynamique de compétition (réglée donc acceptée), pour développer la sociabilité (valoriser le collectif).
Il va de soi que le sujet ne s’aborde pas de façon monolithique : on ne gamifie pas un projet de transformation « en bloc » ! En revanche, on proposera des expériences gamifiées à certaines populations, lors de certaines phases et pour certaines actions clés. Les challenges d’innovation ou d’excellence opérationnelle (univers, cérémonies, rituels …) en sont de bons exemples.
La branding du projet constitue un axe fort : la formulation pourra faire référence à un univers sublimé en cohérence forte avec les enjeux de la transformation et par inférences de vocabulaire (nom des différentes étapes, des équipes, des éléments de référence) contribue à créer une dimension « ludique ». Mais gare à ne pas trop en faire !
La gamification n’est pas une solution miracle, toute faite et adaptée à tous les contextes (des badges ne donneront pas du sens à une restructuration !). Cependant, les outils qu’elle propose peuvent être de formidables leviers de mobilisation lorsqu’ils s’inscrivent dans un cadre cohérent porteur du sens des changements.
Lancez-vous : commencez progressivement, testez, trouvez votre style… et embarquez tout le monde dans votre aventure !