Innovation digitale : à qui les clés ? 

Depuis plus d’un an, j’accompagne une grande entreprise industrielle à l’initiative de sa DSI dans la structuration de sa fonction Innovation Digitale ; l’enjeu est double : 

  • Accompagner l’industrialisation à l’échelle d’opportunités numériques métiers déjà défrichées dans les BU’s et directions. 
  • Soutenir l’innovation numérique pour un SI, une infrastructure et des services IT performants 

L’innovation digitale doit à la fois permettre l’exploration libre de nouvelles pistes et assurer la convergence vers des projets industrialisables. Dans une grande organisation, deux directions revendiquent légitimement ce rôle : la direction innovation corporate, tournée vers la stratégie et l’exploration, et la direction IT, détentrice des expertises technologiques et garante de la faisabilité et de la mise à l’échelle. 

Cette tension cristallise des enjeux très concrets : gouvernance, moyens, légitimité et capacité à transformer. Comment organiser une coopération féconde entre ces deux logiques ? 

Direction innovation corporate : explorer et inspirer 

La direction innovation joue souvent le rôle d’éclaireur. Sa mission est de capter les signaux faibles, d’ouvrir l’entreprise à de nouveaux usages et de créer une dynamique de transformation culturelle. 

Ses principaux atouts relèvent de : 

  • La vision stratégique : elle relie l’innovation digitale aux priorités du top management et donne du sens aux initiatives. 
  • La capacité d’orchestration : elle mobilise les métiers, connecte l’entreprise aux startups, aux partenaires externes et aux laboratoires de recherche. 
  • Son pouvoir de mobilisation : elle inspire, raconte une histoire et fédère autour de projets expérimentaux. 

En revanche : 

  • Elle impulse et expérimente, mais ne dispose pas toujours des leviers pour industrialiser. 
  • Elle reste parfois éloignée du terrain opérationnel et de la réalité des systèmes numériques. 
  • Sa crédibilité dépend de sa capacité à transformer des idées en résultats tangibles. 

En synthèse, la direction innovation excelle dans l’exploration libre et a besoin de relais pour assurer la continuité vers des solutions solides et déployées. 

Direction IT : converger et industrialiser 

La direction IT a un ADN très différent. Elle est garante de la robustesse des systèmes, de la sécurité, de l’intégration et du support aux métiers. En matière d’innovation digitale, elle se présente comme le partenaire naturel dès lors que la technologie devient clé. 

Ses forces sont indéniables : 

  • Sa maîtrise des technologies : elle maîtrise les architectures existantes, les contraintes de sécurité, les choix technologiques, les coûts réels de mise en œuvre et les trajectoires d’évolution possibles. 
  • Sa capacité d’industrialisation : une innovation digitale qui reste au stade de prototype ne crée pas de valeur ; l’IT, elle, sait la déployer à grande échelle. 
  • Sa proximité opérationnelle : en relation constante avec les métiers, elle comprend leurs besoins, leurs contraintes et peut transformer une idée en solution utilisable. 

Mais là aussi, il y a des limites : 

  • La direction IT est parfois perçue comme trop centrée sur la technique, négligeant la dimension culturelle, business ou humaine. 
  • Elle peut souffrir d’un déficit d’image : perçue comme un centre de coûts ou un « gardien du temple » qu’en tant que partenaire stratégique, elle peine à se positionner en acteur de l’innovation. 
  • Sa gouvernance et ses processus internes, souvent lourds, peuvent ralentir le rythme de et décourager les initiatives. 
  • Elle a souvent du mal à s’affirmer comme un acteur d’inspiration, au-delà de l’exécution. 

En bref, l’IT joue le rôle de constructeur solide et fiable ; c’est l’acteur clé de la convergence sans lequel aucune innovation digitale ne survit au-delà du prototype. 

L’enjeu : inventer une gouvernance partagée  

Entre exploration (souplesse, rapidité, essai-erreur) et convergence (sécurité, intégration, industrialisation), la tension est permanente. 

  • Trop d’exploration sans convergence = inflation de prototypes sans lendemain ou projets IT mal dé-risqués, frustration des métiers. 
  • Trop de convergence sans exploration = créativité bridée, innovation réduite à une simple modernisation incrémentale. 

C’est précisément dans la relation entre Innovation corporate et IT que cette tension se matérialise : 

  • L’innovation est l’espace de liberté et d’expérimentation. 
  • L’IT est le lieu de la structuration et de la mise à l’échelle. 

Le défi est donc d’organiser un passage de relais fluide : quand une idée doit-elle basculer, sur quels critères (maturité technologique, valeur business, scalabilité), et avec quelles modalités de collaboration ;  

Il s’agit d’inventer un modèle de coopération qui concrètement, peut prendre plusieurs formes : 

  • Une gouvernance conjointe : direction innovation corporate et IT définissent ensemble la feuille de route, avec des rôles différenciés mais complémentaires. 
  • Des dispositifs hybrides : un incubateur ou un lab digital peut être rattaché à l’IT pour bénéficier de son expertise technique, mais animé en partenariat avec l’innovation corporate pour garantir la connexion avec la stratégie et l’écosystème externe. 
  • Des business partners communs : certains profils, en prise directe avec les métiers, deviennent des traducteurs entre vision, technologie et besoins opérationnels. 
  • Des comités mixtes : ils permettent d’arbitrer rapidement, d’éviter les doublons et de décider ensemble des priorités. 

Dans l’entreprise que j’accompagne, ce modèle coopératif s’impose progressivement, sur la base d’une gestion partagée du portefeuille des opportunités. La direction innovation corporate garde majoritairement la main sur l’exploration, tout en intégrant le cadre, l’appui opérationnel et les critères de passage à l’échelle définis par l’IT. L’IT est remonté dans la chaîne pour mieux assurer la transformation des prototypes en solutions robustes. À chaque étape, les métiers garantissent la pertinence business.
N’oublions pas le nerf de la guerre ! 

Au-delà des rôles et responsabilités, du copilotage d’un portefeuille en cohérence avec des priorités stratégiques, le point décisif est le financement. Tant que les budgets restent éclatés, la coopération entre direction innovation et direction IT reste fragile. 

La seule façon de dépasser cette fragmentation est de mettre en place des mécanismes de financement partagés, pour soutenir la continuité du cycle : exploration → expérimentation → industrialisation. 

Ces dispositifs garantissent que les idées prometteuses ne s’arrêtent pas au stade de la vitrine et qu’elles disposent réellement des moyens pour se transformer en solutions robustes et créatrices de valeur. 

En conclusion 

L’innovation digitale ne doit pas être une bataille de territoire.  C’est dans cette tension féconde exploration / convergence que naissent les innovation qui transforment durablement le système d’information et, à travers lui, l’entreprise. 

👉 Ça vous parle ? Comment votre organisation gère-t-elle cette tension entre exploration et industrialisation ?
Je serais ravi d’échanger avec vous pour partager des retours d’expérience et explorer ensemble la meilleure manière d’orchestrer cette gouvernance de l’innovation digitale. Parlons-en !