Le digital est cité dans toutes les études comme le game changer du business, ou au moins comme un puissant enabler.
Les entreprises se mobilisent pour se digitaliser, les Messieurs Jourdain sont légion, les gourous techno-agiles envahissent les webinaires et les Dirigeants restent – seuls comme souvent – avec leurs questions et leurs arbitrages entre des métiers avides de performance et une DSI prudente au budget jugulé.
Maturité digitale : de quoi parle-t-on ?
Il existe de nombreux référentiels de maturité : Deloitte Digital Maturity Model, Forrester Digital maturity model, Quotient Digital de McKinsey, et des outils d’auto-évaluation pour les PME comme celui de BPI France.
Autour des technologies, ils abordent pêle-mêle :
- La culture, via la responsabilité et la hiérarchie
- Les clients, via l’expérience
- La stratégie, via la vision, ainsi que de nouveaux business models
- La prise de décision, via l’agilité et la responsabilisation à nouveau
- Les compétences, via la capacité à changer
Bref, on vient évaluer la capacité de l’entreprise à se réinventer, à créer de nouveaux modèles (d’organisation, de production, de business…) et à s’associer avec des partenaires (écosystème).
Cette maturité évalue ainsi non seulement le positionnement numérique de l’entreprise mais aussi sa capacité à changer.
Un paradoxe
Dans mes travaux au sein de Talisker sur la performance et la transformation des DSI, je constate régulièrement l’écart entre :
- une vision digitale portée par une Direction Générale et adoptée par le management,
- et une certaine “souffrance digitale” du reste de l’entreprise pour qui les déploiements incessants d’applications sont autant de plâtres à essuyer, de réflexes à faire évoluer…
Bien sûr, on est en plein dans « la résistance au changement » voire l’illettrisme numérique, versus une stratégie digitale qui doit « faire de nous une tech company. »
Dans ce cas, que fait-on de cette fracture dont on ne sait finalement pas si elle est numérique, culturelle ou systémique ?
La culture, les modèles…
Le numérique et l’entreprise sont en constante évolution, tout bouge, que ce soit en bien ou en mal.
La culture, elle, est moins malléable car des modèles mentaux y sont ancrés. Ce sont ces même modèles qui ont construit l’entreprise et la font avancer.
Et ce n’est pas un plan digital, fut-il stratégique, qui transformera radicalement cette culture.
De plus, le digital, n’est pas purement de la technologie, mais une vision produit (en opposition à une vision projet par exemple). C’est la place de l’écosystème dans la conception des produits – la position, la dimension sociétale de l’entreprise dans son monde, c’est la vitesse, le time-to-market, mais aussi l’agilité, la souplesse, le pivotage, le fast fail… Autant d’éléments de culture qui ne sont pas vraiment naturels dans nos entreprises très command/control – qui se soignent mais quand même…
Ainsi, pour des raisons finalement assez culturelles, nos entreprises se retrouvent dans un piège digital.
Qui pour sortir l’entreprise de l’ornière digitale ?
Si le numérique est l’affaire de tous, ses enablers semblent quand même tourner autour de deux sujets un peu saillants :
- l’humain, l’individu et le collectif
- la technologie, sans laquelle le digital ne serait qu’une énième approche managériale.
Vous me voyez venir, l’entreprise a déjà les acteurs naturels pour s’emparer de ces sujets.
Bien sûr que les RH sont légitimes pour apporter une culture de la responsabilisation, pour transformer les articulations managériales et rendre ainsi les organisations plus agiles.
Bien sûr que la DSI est le cœur de la technologie dans l’entreprise, qu’elle a la vision la plus transverse des processus et qu’elle maîtrise les données de l’ensemble des fonctions.
Nous les aurions donc, nos acteurs de la transformation digitale. Pourquoi donc créer des Directions du Digital, de la transformation ?
Pourquoi ça ne semble pas marcher ?
Sur le papier, nous avons nos champions. Mais dans les faits, ils ont un mal fou à trouver cette place qui semble pourtant si naturelle et si importante.
Pourquoi ?
Il y a mille raisons mais quelques-unes sont récurrentes :
- côté RH, la fonction est cantonnée dans son rôle de fonction support (paye, recrutement, formation…). Au mieux, la fonction est sollicitée pour de la tactique, rarement sur une stratégie ou un changement de culture
- côté DSI, les systèmes d’informations sont devenus des hydres impotentes qui engloutissent budgets et ressources, laissant peu de place à la créativité et à la souplesse
Vous me trouverez pessimiste et vous aurez un exemple d’une DSI incroyable qui a transformé l’entreprise par une approche ultra-innovante et une avalanche de technologie. Ok, une ! Et j’en ai aussi quelques exemples.
Pourtant, DRH et DSI sont aux premières loges du business : ils connaissent tout de l’entreprise et de ses femmes et ses hommes. Ils sont ancrés dans sa culture.
C’est à eux qu’il faut confier le digital… mais il faut les y aider !
Acquérir la légitimité
La première aide à apporter à ces fonctions pour élever l’entreprise dans sa maturité digitale est de leur permettre de le faire.
Ça peut paraitre simpliste, mais l’attente d’autorisation – ou du moins son sentiment – est un frein énorme à la fluidité de la prise de décision et d’action dans l’entreprise.
Concrètement ça peut être de l’ordre du statut :
- les mandater pour cette mission,
- les rattacher au niveau stratégique de l’entreprise : développer l’entreprise en la transformant n’est pas un job de “fonction support”,
- verticaliser ces fonctions pour adresser la digitalisation par business : l’ambition est conjointe, les ressources – et les résultats – aussi (la transversalisation est une approche industrielle qui a fait ses preuves dans le cost killing, peu dans la croissance business),
Viens ensuite la légitimité, et pour suivre le précepte d’Albert Einstein, “On ne résout pas un problème avec les modes de pensées qui l’ont engendré”.
Un point d’inflexion est donc nécessaire, créer le moment, engager/montrer de nouvelles têtes, travailler les marqueurs sont autant de messages convergents de l’engagement de l’entreprise.
Et puis… prosaïquement… libérer du budget ! Combien consacre-t-on à la consolidation financière des filiales ? Finalement, quel est le prix de la culture digitale de l’entreprise ?
En profondeur
On ne peut pas, dans le même rapport annuel, exprimer les valeurs stratégiques de l’humain et de la technologie et les cantonner à des « fonctions d’intendance ».
Il est urgent de donner de la puissance aux deux leviers de l’entreprise
• les « RH » – changer le nom serait d’ailleurs judicieux – qui « porte » l’humain et, donc, l’ADN de l’entreprise
• et le SI/technologie/digital qui devrait être chargé de mettre à disposition de cet ADN des technologies non seulement performantes, mais aussi facilitantes, sociales…
Ces fonctions et les leviers qu’elles portent ont la lourde et magnifique tâche de faire de l’entreprise une éponge à modernité.
Ainsi prête, rassurée et puissante, elle doit être capable d’incarner son ambition sociétale et économique.