Retour sur l’Agentforce World Tour (7.11 – Salesforce) et le World Forum (12.11 – ServiceNow)   

J’ai assisté, ce mois de novembre 2024, aux deux présentations majeures en France des éditeurs américains ServiceNow et Salesforce, deux entreprises au positionnement différent, largement implantées sur notre sol, et dont la présence au sein des systèmes d’information des entreprises française est prédominante.  

La thématique de cette année est clairement l’IA : elle révolutionne tout et elle vient d’intégrer nos plateformes. “Avec elles, vous allez révolutionner le monde.” Tel est le mot d’ordre avec lequel deux dirigeantes ont harangué la foule de clients, prospects, partenaires et observateurs du marché venus découvrir les dernières nouveautés. 

Alors clairement oui, des nouveautés, il y en a et les deux évènements ont apporté des messages convergents aux dirigeants venus les écouter.  

Tout d’abord ce qu’il y avait de commun. 

  • La transformation digitale est has been, elle a entrainé : 
  • Un monde horrible pour les clients et les collaborateurs qui aujourd’hui sont confrontés à en moyenne une cinquantaine d’applications sur leurs smartphones pour les clients avec de conduire leur vie courante, et une trentaine d’application pour les collaborateurs afin de travailler et de délivrer ce que l’on attend d’eux en entreprise.  
  • Un silotage des données du client, de l’entreprise. Il y en a partout, dans chaque application au moins, et surtout elles sont non cohérentes, pas gérées, peu accessibles.  
  • Le futur est : 
  • Conversationnel. Quel que soit le canal, pour délivrer une expérience 2030 le client (ou le collaborateur par symétrie des attentions) exprimera ses attentes en termes de résultat (et non plus ce qu’il y a à faire) et laissera un agent IA faire un ensemble de tâches, sans couture, sans savoir qu’il change d’un monde à l’autre.  
  • Efficient. Finies les tâches ingrates qui amenaient à chercher, trouver, lire, faire la synthèse, s’interroger sur quoi faire, lancer des travaux. Que vous soyez client ou collaborateur, la promesse est que vous serez dans la boucle pour décider. Toutes les autres tâches qui vous amenaient au choix seront facilitées ou réalisées par une IA à votre place. 
  • Les conditions si vous voulez y accéder : 
  • Rangez vos données ! C’est sans doute trivial et tarte à la crème, Mais si vous voulez que vos IA n’aient pas besoin d’entrainement pour être pertinentes, il faut lui faciliter l’accès à toute votre donnée (à tout le moins celle utile pour les usages dont vous voulez libérer vos clients ou collaborateurs) et que celle-ci soit de qualité (la désigner ne suffira pas). 
  • Prendre toute la plateforme. Vous n’y échapperez pas, si vous voulez tirer profit des IAs qui ont été entraînées au sein de la plateforme vous devrez embrassez pleinement leur philosophie. Datafabric chez ServiceNow, DataCloud chez Salesforce, ce sont les deux moyens de gérer la donnée externe à la plateforme pour l’utiliser dans les parcours clients ou collaborateurs : choisir, labelliser, typer, inventorier …  
  • Être prêt à Opexiser encore davantage son SI. La consommation est à l’usage, nous y sommes habitués avec le SaaS depuis des années maintenant. Là nous passons un pas supplémentaire, au-delà du cout du module il y a un coût à la conversation sur l’agent en front ET des coûts en back sur les volumes d’information traités (en entrée comme, en sortie) par les modules de gestion de la donnée et cela est également impacté par le rythme de mise à jour des données source. L’économie numérique prélève sa dîme tant il ne sera plus possible de profiter d’une croissance à cout marginal faible (sans investissements, pas d’amortissement, pas de rendement croissant). A l’instar des banques qui se rémunèrent sur les flux financiers, ce les Plateformes vont se rémunérer sur les flux de données et ce sur toute la surface de contact de l’entreprise avec ses clients et ses employés. Bref, la totale. 

Ce que j’ai vécu de différent sur les deux évènements : 

  • Chez Salesforce, 
  • Positionnement très business et incarnation du discours. Clairement l’éditeur se pose en partenaire de la transformation business de l’entreprise et tout y fait écho. Le public tout d’abord, il y avait une foule de CMO, CCO, CDO, CEO … bref des décideurs principalement métier avec plus de 2000 personnes venant de toutes les industries. Les présentations et démos à l’avenant, centrées cas client.  
  • Le  REX Sachs Fifth Avenue qui fracasse tant il donne à voir ce que serait une expérience client qui incarne tout à la fois : dites-le nous une fois, la data que l’on possède travaille réellement pour le client, sans couture, hyperpersonnalisation des suggestions, interactions en langage naturel, … et j’en passe.  
  • L’agent force (et son agent builder), l’IA Salesforce qui semble être un pari réussi (pour ce que l’on peut en observer pour l’heure) de l’éditeur. Une vraie prise de risque et un parti pris fort : chaque agent a été pensé et développé pour un module donné (CRM, …) et une gamme d’usages prédéfinis sur un moteur d’IA maison (Atlas, dont on ne sait pas grand-chose à date), ce qui permet de proposer une IA sans apprentissage (ou presque, c’est une partie de la promesse de valeur) et d’obtenir des temps de déploiements incroyablement réduits (2 semaines selon les dires, tout le monde attend de voir y compris leurs commerciaux). 
  • La démo personnalisée, alors je dois le dire, c’est LA claque de l’évènement. L’avant-vente vous fait décrire en parlant dans une conversation Slack, le cas d’usage que vous aimeriez outiller. Vous fournissez quelques informations et l’adresse du site web de votre entreprise. En quelques minutes, vous avez un agent force qui répond à vos questions en utilisant les informations disponibles sur votre site web, et à d’autres (sans que vous ayez donné quelque information que ce soit !!!) en langage courant sans jamais rencontrer les bords du cadre. Je ne m’en suis pas remis, c’est une tuerie. Gageons que l’impact client sera maximal. 
  • Datacloud et Mulesoft, ce sont un peu les enablers de l’expérience que j’ai vécue. Ils travaillent dans la soute et ont une importance capitale. Mulesoft, API manager et bien plus, il s’assure de connecter la plateforme au reste du SI, vous pouvez garder votre ETL préféré et son acquisition pourrait ne pas être nécessaire, en revanche c’est très différent pour Datacloud. Cette brique remplie des fonctions essentielles à l’expérience client sans couture présentée : le RAG sur les sources de données internes comme externes, l’unification des données au-delà de la plateforme (vos ERP, OMS, …), les actions au travers le système d’information. 
  • Chez ServiceNow 
  • Tentative de positionnement très business mais la réalité est têtue. Le discours était là aussi tout entier tourné vers la Business Transformation. Idris Elba convoqué pour faire de tous les participants (quand même 1200 personnes) les acteurs fiers et capables de ce challenge (c’était très réussi !) a réellement créé un effet de mobilisation (en tout cas à titre personnel, je m’y suis cru). Seulement voilà, sans que cela ne déprécie en rien la valeur des participants, cette transformation business est un peu loin des clouds, des containers, des CMDB ou des catalogues de services chers à l’audience. Les participants, venu voir les dernières innovations de leur outil de travail quotidien, étaient principalement des responsables IT (opération, centres de support, administrateur, …) ou de fonction de support (moyen généraux, ressources humaines, …). Tous ensemble responsables de la transformation intérieure (qui se voit à l’extérieur) de l’entreprise. 
  • Un décalage entre la promesse de valeur des ateliers et les éléments présentés. Pour le coup, et peut-être vrai uniquement pour les ateliers auxquels j’ai assisté (mauvaise pioche du coup), ce n’était pas aligné. Ça semblait pourtant bien parti mais quand on assiste à la présentation d’un catalogue de service IT + RH (avec des vieux formulaires à case à cocher !!!) à la place d’un exposé sur la transformation métier d’une entreprise … et bien cela illustre le décalage entre le discours de l’éditeur et la façon dont ses clients utilisent la plateforme. Soit il y a un manque d’exigence dans le choix des REX présentés sur le forum, soit c’est l’état de maturité des utilisateurs. Autre atelier, pour le coup plus intéressant, celui d’un partenaire venu présenter les résultats de son IA (traitement vidéo + automatisation des contrôles) utilisé dans le cadre de la plateforme (de la façon la plus basique qui soit) … le potentiel de valeur de l’association d’IA propriétaires avec des flux de traitement dans Snow était néanmoins inspirant. 
  • Une vraie philosophie sur l’IA. Si je n’ai pas été bluffé par les démos et qu’il n’y avait clairement pas d’effet Sachs Fifth Avenue sur la présentation, il y a en revanche un vrai parti pris dans la façon dont est implémentée l’IA dans la plateforme : le collaborateur augmenté. Si son étendue reste pour l’heure difficile à appréhender, l’IA semble être pensée pour supporter le collaborateur dans les tâches qu’il a à entreprendre (faire une synthèse des actions et information déjà échangées, faire un résumé des échanges avec l’utilisateur, proposer une rédaction de mail à envoyer, rechercher des cas similaires,  …) mais aussi, la keynote le laisse penser sans le démontrer, des tâches plus complexes (analyse automatique, proposition de plan d’action à appliquer, lancement de tâches automatisées, rapport sur des tâches exécutées) qui laissent entrevoir des gains sur l’automatisation des chaînes de support. C’est donc un peu plus qu’un LLM que la plateforme semble avoir digéré mais sans que l’on sache très bien jusqu’où cela va et sans prétendre aller jusqu’à remplacer le collaborateur dans les interactions avec l’utilisateur. 

 

Comprendre où vont ces deux plateformes est essentiel. Nos clients voient énormément de valeur dans ces plateformes, nous devons connaitre tant les promesses que leurs limites.  Si ce que les deux éditeurs ont montré était puissant et ambitieux, cela repose sur des coûts, une maturité dans la gestion de la donnée et une ouverture des SI existants que peu de clients seront réellement à même de consentir et présenter. Ces présentations étaient une ouverture sur un futur proche en posant l’hypothèse d’une vitesse d’adoption qui s’accélère considérablement. 

En somme, j’ai vu deux éditeurs ambitieux prendre des chemins différents et s’en donner les moyens. Si j’avais pu par le passé imaginer qu’ils puissent être en concurrence, ces deux évènements reprécisent leurs ambitions. Salesforce, se donne les moyens de prendre une place de plus en plus importante dans la surface de contact de l’entreprise avec ses clients et de capter une part de valeur grandissante grâce à ses AgentForces. ServiceNow entend doper la productivité des collaborateurs au service des autres collaborateurs de l’entreprise et des clients appelant le support. Deux logiques qui ont toute leur place et qui ne s’excluent pas l’une l’autre !