Transformation et innovation sont-elles compatibles ?

Une entreprise peut se transformer sans réellement innover ; pour preuve, les entreprises se transformaient avant que le mot « innovation » ne soit devenu un mantra du management. En revanche, innover plus et mieux de façon durable, c’est à dire devenir plus innovant, cela suppose de se transformer. Convaincu que l’innovation est en elle-même un levier puissant de transformation des organisations, je vous propose de nous interroger sur ce qui distingue et rapproche les projets de transformation et les projets d’innovation.

La transformation modernise le présent

Transformer une organisation consiste à faire évoluer en profondeur les pratiques, les usages, les postures de ses collaborateurs. Y parvenir suppose de pouvoir agir de façon cohérente et coordonnée sur toutes ses dimensions : le management et les hommes, les compétences, la gouvernance, les processus, les systèmes, la culture. La transformation relève par essence d’une vision systémique de l’organisation. Et elle est ancrée / elle décline une vision stratégique qui vient d’en haut.

Transformer, c’est pouvoir mobiliser, embarquer tous les acteurs, les faire adhérer pour que se diffusent les changements au sein du corps social. Ce changement-là se construit progressivement ; il implique de l’intelligence collective, de la communication, de la formation pour monter en compétences, développer les savoir-faire et savoir être.

La transformation s’inscrit dans une vision autocentrée : son objet c’est avant tout l’entreprise elle-même, le dedans : si elle induit des changements chez ses fournisseurs par exemple, ce n’est qu’une conséquence, pas une finalité.

La dynamique de la transformation relève du temps long. N’entend-on pas souvent d’ailleurs que le propre d’une organisation en bonne santé est d’être toujours en mouvement ?

Ici, l’important ce n’est pas la cible, mais la dynamique elle-même : l’objet des projets de transformation c’est de changer (moderniser) le présent.

L’innovation façonne le futur

L’innovation, elle, et ce d’autant plus qu’elle se veut disruptive, consiste à créer le futur ; par définition, celui-ci n’existe pas encore. Nous avons l’habitude de dire qu’il n’y a pas d’innovation en tant que telle, mais seulement des preuves d’innovation ; un nouveau produit, un nouveau service, une évolution radicale de la chaîne de valeur n’existe pas … tant qu’elle n’a pas fait la preuve de son efficacité sur son marché. De la possible bonne idée à l’offre qui “cartonne”, le chemin est semé d’embuches.

Mettre au point le produit / service qui rencontre son marché nécessite d’alterner des temps de liberté où « tout est à considérer, y compris l’impossible » … et des temps où l’on ferme les options : identifier et prioriser les incertitudes, faire des paris, sans s’entêter : il faut savoir faire les meilleurs choix … pour mieux les remettre en cause et pivoter au plus vite si la réalité les contredits.

L’innovation relève du mode commando (ou start-up !), du temps court, de l’itération et de la décision rapide : c’est le monde du droit à l’erreur car il faut bien tester ce qu’il est impossible d’anticiper, mais pas celui du droit à l’incompétence : le projet d’innovation mobilise les entrepreneurs les plus aguerris et les meilleurs experts.

L’innovation, c’est le monde de l’ouverture sur l’extérieur, proche et lointain : d’une part, on s’en nourrit pour y trouver des sources d’inspiration, des actifs (ressources et compétences clés) et des terrains d’expérimentation, mais aussi et surtout, l’objet de l’innovation peut finalement s’exprimer (créer de la valeur) en dehors de l’entreprise elle-même, dans un véhicule dédié (raison d’être, organisation, marque …) pour ne pas perturber ou cannibaliser les activités existantes.

Ces traits propres à l’innovation sont d’autant plus marqués que l’on est dans la recherche de la disruption, dans la mise au point de ce qui va, peut-être, renverser la table sur le marché. Tant que le niveau d’incertitude sur la faisabilité et la pertinence des choix reste faible, la logique, les constantes de temps et les profils nécessaires sont ceux d’un projet de transformation : jusqu’à un certain point, l’innovation incrémentale entre dans cette catégorie.

En revanche, au-delà d’un certain « braquet » dans la disruption, le projet innovant fait nécessairement appel à des profils spécifiques d’entrepreneurs, et relève de finalités de création du futur potentiellement en conflit avec le présent qui se modernise, forcément à son rythme.

Concilier transformation et innovation ?

Dans la plupart des entreprises, la distinction entre les enjeux d’acculturation à l’innovation, (l’effort de transformation absolument nécessaire pour préparer le terrain, créer un terreau fertile à la disruption et faire émerger – ou (se) révéler –  des innovateurs) et les enjeux d’innovation eux-mêmes est souvent floue. Pour preuve, les missions, objectifs et KPI’s des entités innovation et des managers en charge de l’innovation les combinent généralement en oubliant les tensions et conflits potentiels entre le présent à moderniser et le futur à créer.

Est-il pertinent de faire assumer au même manager, sur le même projet, à la fois de forts enjeux de transformation et d’acculturation à l’innovation et de forts objectifs de disruption ? Nous ne le pensons pas : le « en même temps » à ses limites !

L’entreprise doit être lucide, mesurer la hauteur des marches, et faire la part de ce qui relève de l’un et de l’autre. Il est salutaire de clarifier les objectifs qu’elle donne et de séparer en conséquence les moyens (l’énergie) qu’elle alloue d’une part pour concrétiser des innovations (disruptions), et d’autre part pour monter collectivement en maturité sur les sujets d’ouverture, de transversalité et d’intelligence collective.

#Innovation #Stratégie