Le domaine de l’assurance, des mutuelles et de la protection sociale se démarque comme l’un des secteurs les plus matures dans l’adoption de l’intelligence artificielle au cœur de ses activités. Cela englobe la souscription, la gestion des sinistres et la détection de la fraude. Ce secteur a été parmi les précurseurs dans l’adoption des robots conversationnels, facilitant ainsi des interactions massives entre les centres de service, les clients et les collaborateurs.
L’arrivée de ChatGPT et d’autres technologies similaires met en lumière comme jamais auparavant l’intelligence artificielle conversationnelle, annonçant une véritable révolution dans ce domaine. Mais comment les professionnels de la relation client de ce secteur pionnier perçoivent-ils concrètement les interactions directes entre leurs clients et une IA ?
Nous avons entrepris d’explorer ce sujet en interrogeant des professionnels de la relation client, de l’innovation et du digital. Notre objectif était de comprendre les réalités de l’intelligence artificielle conversationnelle dans l’entreprise. Quels sont les succès rencontrés, les désillusions éprouvées, et au-delà, quels sont les mythes et fantasmes qu’elle suscite ? Cette série d’articles vise à restituer l’analyse issue des 14 entretiens menés avec des managers de haut niveau sur ce sujet.
Nous avons encouragé nos interlocuteurs à partager leur vision de l’intégration de cette nouvelle technologie dans leur entreprise ainsi que chez leurs concurrents. Leurs réponses ont exploré divers aspects, notamment les défis anticipés, les compétences requises pour utiliser l’intelligence artificielle conversationnelle en entreprise, et la dynamique d’adoption associée.
Des difficultés techniques anticipées du fait de systèmes d’information encore peu matures
Plusieurs des interviewés nous remontent leur crainte de se retrouver face à des blocages techniques qui ralentiront leurs projets de mise en place d’IA conversationnelle. Leur constat est simple, les IA, qu’elles soient vendues à travers des modèles de plateforme, ou développées en interne, ne donnent leur plein potentiel qu’à travers leurs connexions aux systèmes d’information de l’entreprise.
En effet, tous s’accordent à dire qu’une IA a besoin de pouvoir se nourrir des informations de l’entreprise et d’interagir avec les différents outils à disposition en temps réel (référentiel client, systèmes de communication, portail utilisateur, applications métiers…). Ces interactions ne sont rendues possibles que par des canaux API ou Webservices.
Mais là où les entreprises digitales se sont construites sur des systèmes favorisant les interactions entre applications via des réseaux d’API très développés, les acteurs historiques rencontrent des difficultés à moderniser des applications parfois obsolètes et à élaborer les API nécessaires pour assurer l’interconnectivité des systèmes.
Ils anticipent de fait, qu’une fois installées dans l’entreprise, les IA ne pourront pas être exploitées à leur plein potentiel aussi vite qu’ils le souhaiteraient. Elles seront toutefois des vecteurs de transformation qui pousseront, pour pouvoir être utilisées à leur pleine capacité, le développement accéléré de nouvelles API dans les systèmes de l’entreprise. APIs qui bénéficieront au métier de manière plus étendue que l’unique utilisation de l’IA conversationnelle.
L’IA conversationnelle, un vecteur de transformation qui nécessite de nouvelles compétences
Commençons par le spectre de l’IT. Il est clair, au vu des changements anticipés au niveau de l’APIsation de l’entreprise, que ce dernier s’accompagnera d’une nécessité de montée en compétence des équipes techniques quant au développement de ces nouveaux outils.
Mais nos interviewés ne s’arrêtent pas là. Ils se penchent également sur la partie technique au sein des équipes de la DSI. Les personnes avec qui nous avons échangé anticipent des besoins nouveaux à moyen terme. Ces besoins incluent la nécessité de recruter des spécialistes qui contribueront à « rendre plus attrayantes et dynamiques les IA conversationnelles ». Ces experts ne seront pas seuls ; ils seront accompagnés d’équipes dédiées à l’administration et à l’amélioration de l’IA conversationnelle. Ces équipes, probablement mixtes, IT métier, se chargeront de :
- Nourrir l’IA conversationnelle avec de nouveaux échanges pour optimiser et développer sa performance
- Monitorer les conversations et les réponses apportées pour s’assurer de respecter les standards de qualité fixés
- Améliorer les capacités de l’IA en lui permettant d’interagir avec de nouveaux systèmes, de parler de nouveaux langages…
- Assurer un bon niveau d’adoption auprès des clients
Une série d’impacts sur les compétences des chargés de relation client est aussi anticipée par plusieurs des personnes interrogées. Ce rôle clé de la relation client est amené à évoluer avec deux changements majeurs.
Premièrement, les conseillers ne seront plus uniquement face aux clients, mais ils auront aussi un rôle à jouer dans l’amélioration de l’IA conversationnelle : axes d’amélioration de l’IA, validation des cas où l’IA n’était pas « sûre », réflexions sur l’amélioration de l’expérience client dans son ensemble…
En parallèle, l’automatisation d’une partie des tâches, souvent les plus simples, implique une complexification du métier avec des problématiques plus complexes à traiter qui nécessitent une polyvalence accrue.
L’IA conversationnelle, un enabler des transformations de l’entreprise
L’IA conversationnelle joue un rôle clé grâce à ses interconnexions avec les systèmes de l’entreprise. Cela engendre une exigence accrue en termes de qualité des données, d’accessibilité et d’interactivité. En conséquence, elle contribue à faire levier sur la montée en maturité du système d’information de l’entreprise.
En intégrant de plus en plus d’outils, la mise en place de l’IA conversationnelle contribue à booster la digitalisation au sein de l’entreprise. L’approche de bout en bout souvent associée à l’IA va quant à elle permettre de pousser des démarches d’amélioration transverse de l’expérience client.
Ces flux digitalisés et optimisés vont permettre de collecter et de capitaliser sur un nombre accru de données clients sur lesquelles le métier pourra se baser pour mener l’amélioration du service client, rechercher de nouveaux canaux de revenus et renforcer la rétention des clients.
Une transformation, oui, mais une transformation qui prendra plusieurs années
Si la quasi-totalité des interviewés a cité l’IA conversationnelle comme un catalyseur de la transformation, ils sont aussi nombreux à rester lucides sur la capacité de leur entreprise ainsi que de leurs écosystèmes à se transformer, bien qu’ils aient fait de l’IA une priorité stratégique dès aujourd’hui.
Du fait d’éléments culturels et d’une tendance des acteurs français, notamment au sein du monde mutualiste, à se transformer en faisant « bien, mais pas vite », plusieurs n’anticipent leurs premiers POC à l’échelle pas avant 2025 pour des perspectives d’industrialisation fonctionnelle à l’horizon 2027. Si les dates diffèrent, l’idée est là : « Ce sera une dynamique progressive et il n’y aura pas de « big bang » dans notre environnement ».
Quelques-uns gardent néanmoins un œil sur certains de leurs concurrents directs, plus enclins à l’innovation, qui pourraient atteindre une maturité dans l’utilisation des IA permettant des gains visibles plus rapidement. Et l’autre œil sur les avancées autour de l’IA Act avec l’IA de confiance qui pourrait avoir des impacts sur les décisions à prendre et le choix des fournisseurs d’IA.