Être le premier ou le suivant : quelle est la meilleure stratégie ?

L’entreprise qui innove est mécaniquement la première à arriver sur un marché … puisqu’elle le crée, mais l’innovation est-elle vraiment la clé de la performance ? Est-elle la seule voie de succès ? Des deux stratégies suivantes, laquelle est la plus performante : chercher absolument à innover, vouloir être le premier à amener au marché une offre nouvelle qui réussit, ou copier, imiter une offre existante ?

L’imitation est une route plus fréquentée pour la croissance

La question est éternelle et ne se veut pas iconoclaste à l’heure où l’innovation est systématiquement érigée en Saint Graal de la réussite entrepreneuriale ; d’ailleurs comme le rappelle O. Schenkar dans « copycats », T. Levitt, professeur à Harvard écrivait dans les sixties : “L’imitation n’est pas seulement plus répandue que l’innovation, c’est une route bien plus fréquentée pour la croissance et les profits.”

Dans les faits, nombre d’imitateurs ont bien mieux réussi que ceux qu’ils ont imités. Deux exemples empruntés à Copycats :  ce n’est pas Mac Donalds – 13.000 restaurants dans le monde entier- qui a créé la première chaine de fast food, mais White Castle – 422 restaurants, uniquement aux US – qui dès 1921 a lancé et développé le modèle. Diner’s Club qui a le premier lancé la carte de crédit en 1950 est aujourd’hui très loin derrière les mastodontes qui se disputent la suprématie mondiale. Citons aussi des innovateurs qui ont disparu de leur marché après de premiers succès, dépassés puis terrassés par leurs imitateurs : qui se souvient de G. Tydal, Digital Research et de l’OS CP/M, dont le clone racheté par un certain Bill Gates deviendra MS/DOS puis windows ? ou de l’Alto, premier ordinateur personnel, développé par Xerox, auquel le Macintosh d’Apple lancé en 1984 a beaucoup emprunté.

La métaphore du chercheur d’or

M. Moussaid est foulologue : ses recherches portent sur les comportements des foules. Dans une récente vidéo très didactique il illustre le dilemme Exploration / Exploitation par la métaphore du chercheur d’or ; du « pur explorateur » qui creuse partout pour trouver son filon ou du « pur exploitant » qui creuse à côté d’un explorateur chanceux, lequel découvre le plus de pépites in fine ? Simulations et expérimentations à l’appui, la démonstration est nette, sans ambiguïté : à titre individuel, la stratégie la plus performante est celle de l’imitation, de la copie ultra-rapide de ce qui fonctionne.

En fait, la performance individuelle des imitateurs tient au fait qu’ils prennent moins de risques et sont plus sobres en énergie. Pour revenir à l’entreprise, innover coûte cher et relève du pari or on imite des produits qui ont déjà commencé à faire la preuve de leur valeur ; l’imitateur mise moins (supporte des coûts moindres de r&d et de marketing) et a plus de chances de gagner car il évite les erreurs de celui qui a essuyé les plâtres.

Il va de soi en revanche que pour maximiser le gain collectif (le nombre total de pépites extraites pour les chercheurs d’or, le nombre d’innovation qui rencontrent leur marché pour les entreprises), il faut qu’il y ait un mélange d’explorateurs (innovateurs) et d’exploiteurs (imitateurs) : tout le monde ne peut pas que copier tout le monde.

L’occident dénigre aujourd’hui l’imitation

Mais pourquoi alors l’innovation est-elle autant étudiée, valorisée, glorifiée ? Pour O Shenkar, c’est la raison culturelle qui s’impose ; cela tient au fait que l’on a culturellement tendance à développer et médiatiser beaucoup plus ses réussites que ses échecs. Et en parallèle, dans nos sociétés occidentales, à la pratique de l’imitation, de la copie, est attachée une valeur négative, infamante, de parasite. Souvenons-nous qu’il n’en a pas toujours été ainsi : comme le rappelle D. Rothmann, jusqu’à la moitié du XIX siècle, l’imitation restait attachée à des connotations positives d’interprétation de la nature par les artistes et d’accès à des biens manufacturés. De nos jours, cette vision négative de l’imitation n’est d’ailleurs pas partagée partout : en chine en particulier, la capacité à imiter est considérée comme une vertu, une source de fierté, une manifestation de l’intelligence ; l’impressionnante progression économique de la Chine doit beaucoup à ses capacités d’imitation.

La transversalité et la collaboration font les imovateurs

L’imitation n’est pas pour autant l’alpha et l’oméga de la réussite : les très grands innovateurs sont aussi de très grands imitateurs ; dans la réussite, les deux notions sont indissociables. Les entreprises qui réussissent le mieux sont des hybrides, celles que O. Shenkar appelle les imovateurs : elles combinent capacité d’innovation et talent d’imitation. Le succès nait non pas de la copie pure et simple, mais d’une appropriation très rapide de ce qui fait le succès : comprendre en profondeur la valeur d’un business model pour le revisiter, ré-agencer, recombiner, adapter à sa propre position et à ses propres capacités, transposer à de nouvelles cibles client. Dans tous les cas, ce sont bien les mêmes compétences fondamentales d’hyper-collaboration et de transversalité qui font le succès : pour innover comme pour imiter (et inversement !), il faut exceller dans les compartiments suivants :

  • Etre connecté à son environnement, à la fois source d’inspiration et d’actifs clés
  • Décider où l’on va, faire les bons choix (sujets, technologies, partenaires …) et allouer les ressources en conséquence
  • Maîtriser le processus de création de valeur
  • Gérer les actifs clés, orchestrer

L’imitation est partie intégrante de toute stratégie d’innovation

Dans notre monde ouvert et volatil où les standards globaux sont la règle, où les savoirs et les compétences sont partagés et interconnectés, où les alliances s’imposent pour réussir, l’imitation est partie intégrante de toute stratégie d’innovation : qui imiter, sur quels critères décider de reproduire telle ou telle innovation, quels moyens allouer …

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